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Les loyers des épiceries font-ils augmenter le prix des aliments?
07 septembre 2023 6 Minute Read

Le Bureau de la concurrence a récemment publié un rapport* qui confirme ce que la majorité des Canadiens savaient déjà : les coûts des denrées alimentaires sont en hausse et des changements importants pourraient être nécessaires pour ramener les prix à un niveau plus normal.
Le Bureau de la concurrence a aussi lancé une idée inattendue, soit d’interdire les clauses des baux commerciaux qui empêchent l’exploitation d’un magasin concurrent par un nouveau bailleur ou qui limitent l’arrivée de magasins similaires dans une propriété ou dans la zone environnante.
Les clauses d’usage exclusif, appelées clauses restrictives dans les baux, empêchent les bailleurs d’autoriser l’ouverture de magasins concurrents à proximité d’une succursale de l’une des cinq grandes chaînes d’épicerie du Canada (Loblaws, Métro, Sobeys/IGA, Walmart, Costco), qui contrôlent plus des deux tiers des ventes de produits d’épicerie au pays.
Grâce à ces clauses, les épiceries et les autres détaillants peuvent s’assurer de protéger leurs investissements d’une concurrence excessive.
Ces clauses de bail commercial contribuent-elles à la hausse des prix des denrées alimentaires? Quelles seraient les conséquences de l’élimination des clauses d’usage exclusif pour les détaillants, le choix de l’emplacement des magasins et les conseils en matière d’immobilier commercial?
Nous avons discuté avec Matthew Jackson, vice-président du groupe du commerce de détail national de CBRE, pour en savoir plus.
Tout est dans les détails
Bien que les acheteurs puissent l’ignorer, les clauses restrictives sont monnaie courante dans le secteur de la vente au détail.
« Tous les détaillants, les épiceries, les nettoyeurs et même votre café préféré, ont probablement une clause qui interdit à un commerce similaire de venir s’établir dans la propriété qu’ils occupent, a expliqué M. Jackson. Seuls les concessionnaires automobiles et les magasins de meubles ne négocient généralement pas ce type de clause, car ils font de meilleures affaires lorsque le trafic est plus important. »
Selon M. Jackson, qui possède une longue expérience dans la vente au détail, l’interdiction de cette clause très répandue dans les baux ne serait pas une mince affaire et constituerait un changement générationnel. « Une interdiction entraînerait des changements significatifs dans la manière dont les épiciers et les bailleurs abordent les baux. »
Lorsque les épiciers négocient des baux avec les bailleurs, ils stipulent généralement qu’ils ne veulent pas de concurrence dans le même centre ou dans les centres avoisinants contrôlés par le bailleur, et ils paient une prime sur le loyer pour s’en assurer.
L’arrivée d’un supermarché est une bonne nouvelle pour les bailleurs, car les clients visitent ce type de magasins plusieurs fois par semaine, ce qui stimule les ventes et profite aux locataires environnants. Sans clauses restrictives, les épiciers paieraient probablement un loyer moins élevé, ce qui pourrait avoir une incidence sur la valeur de l'immeuble commercial.
« Les outils gouvernementaux sont rarement nuancés et un tel changement pourrait avoir un effet domino, a déclaré M. Jackson. Sans clauses restrictives, les épiciers demanderont des loyers plus bas pour compenser une possible chute des ventes due à la concurrence. Et s’ils paient un loyer moins élevé, le centre commercial perdra de la valeur. »
« Le bailleur souhaite-t-il avoir les loyers les plus élevés et assurer la plus grande valeur pour son immeuble commercial en accordant une clause restrictive à un épicier ou préfère-t-il ne pas accorder d’exclusivité afin d’offrir d’autres options d’épicerie, perdant ainsi de la valeur? »
« Même si la décision ne revient pas aux bailleurs, je ne suis pas sûr que nous verrons une augmentation de la concurrence, comme le souhaite le Bureau de la concurrence, en raison d’autres facteurs importants », a ajouté M. Jackson.
Ce n’est pas un problème immobilier
Ce n’est pas nécessairement dans l’immobilier que l’on trouvera la solution à la baisse des prix des produits alimentaires, affirme M. Jackson.
C’est dans les petites communautés que les effets de ce changement pourraient être les plus importants. Si une ville ne dispose que d’une seule propriété pouvant accueillir une épicerie, les clauses d’usage exclusif empêcheraient les boucheries, les boulangeries et d’autres commerces indépendants de s’installer dans ce centre. La concurrence s’en trouverait ainsi considérablement limitée.
Toutefois, dans la majorité des communautés, les accords avec les fournisseurs causent le plus de problèmes.
Les grandes chaînes ont conclu des accords qui garantissent aux fournisseurs que leurs produits seront mis sur les étagères. Les magasins indépendants ne bénéficient généralement pas des mêmes accords que les cinq grandes chaînes et sont donc désavantagés en ce qui a trait à l’accès aux produits et ils ne bénéficient pas des prix compétitifs dont ils auraient besoin pour faire face à la concurrence, même s’ils pouvaient signer un bail là où ils le souhaitaient.
Et bien qu'il y ait beaucoup de place dans les grands marchés pour permettre à des petits concurrents comme Farm Boy ou de nouveaux arrivants comme Aldi de coexister à proximité des grands épiciers et éventuellement attirer des clients, les accords avec les fournisseurs représentent le plus grand obstacle à leur entrée sur le marché.
« L’immobilier n’est pas un obstacle à l’arrivée de nouveaux venus, a précisé M. Jackson. C’est plutôt le contrôle que les épiciers exercent par le biais des accords avec les fournisseurs qui sont à la source du problème. »
« Les nouveaux arrivants ne peuvent pas profiter du succès de la présence de l’une des cinq grandes chaînes, car ces épiciers ont une forte emprise sur les fournisseurs. »
Les épiciers font leurs courses
M. Jackson aide les épiciers et d’autres détaillants à prendre des décisions immobilières à long terme.
Selon lui, diverses options s’offriraient aux bailleurs et aux épiciers si le gouvernement cherchait à limiter les clauses restrictives.
Les géants de l’épicerie pourraient décider de faire des acquisitions, en s’emparant de toutes les propriétés disponibles autour de leurs sites, afin de se protéger contre la concurrence.
« S’ils possèdent tous les terrains convoités et les principaux centres commerciaux, ils peuvent décider de l’ouverture des magasins et prendre leur destinée en main, alors qu’il existe beaucoup de facteurs inconnus dans un contrat de location, a expliqué M. Jackson. Les épiciers pourraient donc faire de nombreuses acquisitions, ce qui limiterait la concurrence, quelle que soit la modification suggérée aux conditions du bail. »
Baux plus courts + loyers plus élevés = inflation alimentaire
Bien que l’élimination des clauses d’usage exclusif pourrait accroître la concurrence entre les épiciers dans les emplacements recherchés, M. Jackson estime que ce changement pourrait aussi avoir des conséquences inattendues, qui se traduiraient par une hausse des prix pour les consommateurs.
En raison de l'investissement important nécessaire à la construction d’une épicerie, les bailleurs amortissent le coût, généralement sur une durée de 20 ans, sachant qu’un épicier pourrait occuper cet emplacement pendant 50 ans ou plus.
« Si un épicier envisage de signer un contrat de location de 20 ans et qu’après trois ans le bailleur permet à des concurrents de venir s’établir dans le même centre, l’épicier refusera de payer une prime pendant 17 ans », a -t-il expliqué.
« Il y aura donc un effet sur la durée des contrats. Et malheureusement, si vous réduisez la durée, l’investissement est amorti sur une période plus courte, ce qui se traduit par des loyers plus élevés pour les épiceries. »
« On constate encore une fois un effet domino. Car des loyers plus élevés finiront par avoir un effet sur les prix des produits en épicerie. »
Il serait plus efficace de se concentrer sur les accords avec les fournisseurs et sur leur façon d’entraver la concurrence en limitant les produits que l’on peut trouver sur les étagères ainsi que le prix des marchandises.
« Vous pouvez tenter de résoudre le problème des prix du panier d’épicerie par le biais de clauses de bail, de loyers et d’autres éléments », a expliqué M. Jackson.
« Mais si vous avez 20 nouvelles épiceries concurrentes qui ne peuvent pas mettre les produits sur leurs étagères, vous vous rendez compte que l’immobilier n’était pas vraiment la source du problème. »
*En anglais seulement
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