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Est-il possible de voir s’établir une nouvelle chaîne d’épiceries au Canada?

18 juin 2024 6 Minute Read

Grocery cart with American grocery company logos in it

Face à la montée des prix des produits alimentaires qui provoque la colère des consommateurs canadiens, François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, a approché une chaîne d’épicerie américaine. L’objectif est de dynamiser le marché national et de défier le monopole des cinq grandes chaînes de supermarchés du Canada : Metro, Loblaw, Sobeys, Walmart et Costco.

Que se passerait-il si un nouvel acteur faisait son entrée sur le marché alimentaire canadien? Serait-il capable de s’affirmer? Combien de temps lui faudrait-il pour opérer efficacement? Quelle serait sa stratégie pour séduire les consommateurs canadiens?

Matthew Jackson, vice-président du groupe du commerce de détail national de CBRE, a facilité l’implantation de détaillants étrangers au Canada. Toutefois, selon lui, ce processus n’est pas sans difficulté.

« Plusieurs épiciers internationaux, tels qu’Aldi et Trader Joe’s, ont observé le marché canadien — nous en entendons parler depuis des années, indique Matthew. Cependant, Whole Foods est probablement le dernier grand nom à avoir franchi le pas en entrant sur le marché canadien en 2002. »

Une perspective intimidante

En effet, il est très difficile pour une chaîne internationale de magasins d’alimentation de pénétrer sur le marché canadien et de prétendre rivaliser avec un géant de l’industrie alimentaire, comme pourrait l’envisager Aldi.

L’échec de Target au Canada, ainsi que les retraits récents de Nordstrom et Lowes, ont renforcé la prudence des détaillants américains envisageant une expansion au Canada. Pour Matthew, « il y a une certaine réticence à s’installer ici, d’autant plus que le secteur de l’épicerie est plus complexe et plus compétitif ».

Les chaînes d’approvisionnement des épiceries gèrent des produits périssables qui requièrent des structures de stockage réfrigérées. De plus, elles nécessitent des terminaux alimentaires et des réseaux de transport pour livrer ces produits aux magasins dans des délais appropriés.

Matthew explique qu’il existe une grande différence entre les vêtements ou les montres Rolex et la laitue : « c’est un ensemble de problèmes totalement différent, et c’est probablement l’une des raisons principales pour lesquelles aucune chaîne de supermarchés ne s’est installée au Canada depuis plusieurs décennies ».

Il ne manque pas d’espace…

Le marché canadien est-il même prêt à accueillir un nouvel acteur dans le secteur de l’épicerie?

Les grands acteurs historiques de l’épicerie, comme Loblaw et Empire, possèdent des divisions immobilières et contrôlent de nombreux emplacements privilégiés pour les magasins d’alimentation.

Les clauses d’usage exclusif, appelées clauses restrictives dans les baux, empêchent les bailleurs d’autoriser l’ouverture de magasins concurrents à proximité d’une succursale de l’une des cinq grandes chaînes d’épicerie du Canada, qui contrôlent plus des deux tiers des ventes de produits d’épicerie au pays.

Grâce à ces clauses, les épiceries et les autres détaillants peuvent s’assurer de protéger leurs investissements d’une concurrence excessive.

Matthew soutient qu’il reste « beaucoup d’espace » sur les marchés canadiens pour accueillir une nouvelle chaîne d’épicerie. « De nombreux promoteurs immobiliers résidentiels possèdent des espaces commerciaux au rez-de-chaussée et au premier étage de leurs immeubles. Ces espaces seraient parfaits pour une épicerie, surtout pour un magasin de taille plus réduite comme Lidl. »

Les bailleurs de centres commerciaux, ayant constaté la résilience et la rentabilité des épiceries en tant que locataires principaux pendant la pandémie, cherchent désormais à en attirer davantage. Ils sont prêts à investir pour leur aménager de l’espace, notamment en fusionnant des locaux plus petits pour créer un espace plus grand dédié à l’épicerie.

« Aujourd’hui, tout le monde veut un magasin d’alimentation. Les gens font généralement leurs courses une à deux fois par semaine, ce qui génère du trafic dont bénéficient les autres locataires. »

« Les bailleurs reconnaissent la valeur ajoutée des loyers plus élevés et des taux d’occupation plus importants qui accompagnent généralement l’installation d’une épicerie. Les bailleurs de centres commerciaux en difficulté créeront de l’espace pour accueillir une épicerie en regroupant des unités commerciales peu performantes. »

Il n’y a aucune garantie de succès

Matthew Jackson estime que les consommateurs canadiens aspirent à une concurrence accrue sur le marché de l’épicerie. Ils souhaitent avoir plus de choix que les cinq principaux acteurs du marché ainsi que découvrir de nouvelles marques de produits.

Bien qu’il existe de nombreuses histoires édifiantes comme celle de Target, certaines marques internationales ont connu un grand succès au Canada, notamment Apple, TJX, Sephora et Zara.

Cependant, il ne s’agissait pas de chaînes d’épicerie. La dernière grande marque d’épicerie à s’être installée au Canada, Whole Foods, n’a pas connu une croissance importante. Après 22 ans d’exploitation au nord de la frontière, elle ne compte que 14 magasins à l’échelle nationale.

« Whole Foods a une solide réputation et un public fidèle, mais ce succès ne s’est pas encore traduit en une présence nationale généralisée », souligne Matthew. Il note également qu’Eataly a récemment connu un succès sur le marché de Toronto et pourrait devenir une nouvelle chaîne nationale rivalisant avec les cinq principales entreprises sur le marché de niche des produits italiens.

La disponibilité pour l’implantation

Où pourraient s’installer les épiceries? Les immeubles à usage mixte récents disposent généralement de l’espace et des installations nécessaires pour le chargement et le stockage en chambre froide. Ces caractéristiques les rendent idéalement adaptés à la gestion d’une épicerie.

« Dans le passé, lorsque les anciens immeubles à usage mixte ont été construits, la livraison de produits alimentaires n’existait pas. Cependant, les nouveaux projets sont équipés de chambres froides pour les livraisons. Il en résulte des débouchées pour les épiceries dans les marchés urbains de Toronto, Montréal et Vancouver. »

Les épiciers doivent également envisager comment transporter les denrées périssables vers leurs magasins en utilisant un réseau de distribution. Un épicier américain pourrait potentiellement utiliser un réseau logistique existant pour expédier des produits non périssables à travers la frontière. Cependant, même avec ce point de départ, il aura probablement besoin de dépôts et de centres de distribution au Canada, où la demande en biens industriels surpasse actuellement celle des du détail.

De plus, un nouvel épicier doit prendre en compte les lois canadiennes sur l’emballage et fonctionner dans un système fiscal différent. Enfin, il se peut que ses marques et noms de produits entrent en conflit avec ceux d’entreprises déjà établies au Canada.

L’aide de CBRE

« Cela peut être assez déconcertant. C’est là que les conseillers en commerce de détail et en immobilier entrent en jeu », témoigne Matthew. Il précise que son équipe et lui ont participé au déploiement de grandes marques américaines. Ils sont en mesure de s’allier à des clients pour tracer un chemin vers leur implantation au Canada.

Une fois toutes les conditions satisfaites, quel est le délai pour l’ouverture d’un nouveau magasin d’alimentation au Canada?

« Si le détaillant a rempli toutes ses obligations juridiques, logistiques, immobilières et de distribution, il est tout à fait raisonnable d’anticiper l’apparition de chariots dans les allées d’une nouvelle chaîne d’épicerie d’ici 12 à 18 mois », conclut Matthew.

L’anticipation monte parmi les consommateurs canadiens qui sont impatients d’une concurrence accrue, d’un choix élargi et, espérons-le, de meilleurs prix.

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