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Le vert, nouvelle couleur de la croissance immobilière

20 septembre 2024 11 Minute Read

Paul Morassutti standing on green lawn in front of cow statues

Cet article a été rédigé par Paul Morassutti, président de CBRE Canada.

Alors que la sensibilisation à la durabilité et à la décarbonisation progresse dans le secteur de l’immobilier commercial au Canada, les préoccupations concernant la prime de valeur « verte » (ou, à l’inverse, la décote de la valeur « brune ») se multiplient.

L’une des questions les plus fréquentes que je reçois est : quelle est la prime de valeur associée aux bâtiments écologiques? Bien que cette question soit légitime, surtout au vu des dépenses considérables nécessaires pour décarboniser un bâtiment ou un portefeuille, je pense qu’il est important de ne pas s’y attarder. La véritable question à poser est : quel est le risque de ne pas adopter une approche écologique?

Qu’est-ce que l’immobilier vert?

Avant d’examiner l’impact sur la valeur, il est essentiel de définir ce qu’est un bâtiment écologique. Les définitions potentielles abondent : zéro carbone, selon le Conseil du bâtiment durable du Canada (CAGBC), carboneutre, LEED, LEED Platine, BOMA Best et certifié WELL, pour n’en citer que quelques-unes. Les certifications de performance énergétique pourraient également devenir un facteur de plus en plus important.

Une enquête récente du Royal Institute of Chartered Surveyors (RICS) a révélé que l’absence de normes et de définitions communes pour les bâtiments écologiques constitue un obstacle majeur à l’investissement dans les bâtiments durables au Royaume-Uni et en Europe.

Définissons un bâtiment écologique comme étant, au minimum, doté d’une certification de durabilité. Pourquoi alors persiste-t-il tant d’incertitude quant à sa valeur? Au Canada, la construction d’immeubles de bureaux selon la norme LEED est une pratique établie depuis près de deux décennies. Le centre-ville de Toronto illustre cette tendance avec 46 immeubles de bureaux de catégorie A certifiés LEED ou BOMA. De nombreuses transactions impliquant des bâtiments écocertifiés ont eu lieu, et pourtant, le débat sur les plus-values liées à ces certifications s’est estompé depuis plusieurs années.

Le 280 King Street East, construit en 2005, a été l’un des premiers immeubles de bureaux certifiés LEED de la ville. Ce projet a suscité un débat sur les avantages d’une construction conforme à la norme LEED par rapport aux coûts de construction plus élevés. On se demandait si les locataires étaient prêts à payer une prime ou si la valeur de l’immeuble était plus élevée. Les discussions de l’époque étaient presque identiques à celles que l’on entend aujourd’hui.

Les interrogations des promoteurs sur les coûts et les rendements des constructions écologiques étaient légitimes, étant donné l’ampleur des investissements requis dans le secteur des bureaux. Cependant, la donne a changé lorsque les principaux locataires ont déclaré leur intention exclusive d’occuper des immeubles aux normes LEED. Les promoteurs ont rapidement saisi qu’un bâtiment non certifié serait obsolète dès sa mise en service, mettant ainsi fin au débat. LEED s’est alors imposé comme la norme de facto dans la construction de bureaux.

Aujourd’hui, bien que la dynamique ait évolué, elle reste similaire. Remplacez « carboneutre » par « LEED » et le constat est le même. Chaque année, de plus en plus de locataires s’engagent dans une démarche de neutralité énergétique. Les promoteurs réagissent en proposant des produits adaptés à cette demande. Ainsi, ils s’assurent que leurs bâtiments attirent un maximum de locataires et demeurent compétitifs à l’avenir.

Les arguments en faveur d’une prime verte sont très convaincants.

Malgré les commentaires précédents, les arguments en faveur des primes pour la construction écologique deviennent de plus en plus convaincants. Voici les principaux facteurs qui soutiennent les primes vertes :

  1. La demande des occupants et des investisseurs s’accroît.

    Pour de nombreux occupants, le compromis n’est pas envisageable. Ils souhaitent occuper des locaux conformes à leurs engagements en matière de consommation carboneutre, mais la réalité peu connue est qu’il y a une pénurie de ce type de biens. De même, les investisseurs cherchent à posséder des biens durables. Une enquête récente de Realpac a montré que près de la moitié de ses membres ont des objectifs de carboneutralité et que 68 % d’entre eux rendent compte de leurs émissions de types 1 et 2. Ces pourcentages augmentent chaque année. Que ce soit pour de nouvelles constructions ou la décarbonisation de portefeuilles existants, les bâtiments durables joueront un rôle crucial dans la préservation de la valeur des actifs. En effet, les occupants se détournent de plus en plus des propriétés ayant un rendement environnemental médiocre. En d’autres termes, si les bâtiments intéressent un plus grand nombre de locataires et d’investisseurs, ils auront une valeur plus élevée.
  2. Les bâtiments durables ont des coûts d’exploitation plus faibles.

    Des coûts d’exploitation réduits permettent à un immeuble de proposer des loyers nominaux plus élevés, ce qui, combiné, se traduit par un revenu net d’exploitation accru.
  3. Un risque réglementaire accru.

    Le nombre de réglementations relatives aux facteurs ESG touchant les propriétaires immobiliers a considérablement augmenté ces dernières années, avec des gouvernements et des organismes industriels imposant des normes de déclaration environnementale. À New York, la loi locale 97 est entrée en vigueur cette année et exigera que les bâtiments respectent des limites en matière d’efficacité énergétique et de gaz à effet de serre à partir de 2024, avec des restrictions encore plus strictes prévues d’ici 2030. Les bâtiments qui dépasseront les limites d’émissions de gaz à effet de serre seront soumis à des pénalités importantes. De nombreuses autres villes nord-américaines adoptent des politiques similaires. Par exemple, Vancouver est récemment devenue la première ville canadienne à réglementer les émissions de gaz à effet de serre des grands bâtiments, avec l’adoption du Annual Greenhouse Gas and Energy Limits Bylaw. Nous prévoyons que les normes de performance des bâtiments deviendront de plus en plus la règle plutôt que l’exception.

  4. La disponibilité des capitaux d’emprunt peut varier.

    Pratiquement toutes les grandes banques canadiennes ont pris des mesures concrètes pour atteindre l’objectif de « zéro émission » et sont membres du Partenariat pour la comptabilité financière du carbone (PCAF). Les émissions financées, c’est-à-dire celles associées aux prêts, constituent le véritable problème. Certains groupes estiment que l’empreinte carbone combinée des huit plus grandes banques canadiennes est plus de deux fois supérieure à celle du Canada dans son ensemble. Les banques ne pourront pas atteindre leur objectif de zéro émission en continuant à prêter à des actifs « bruns ».

Les arguments en faveur d’une prime verte sont convaincants, mais le risque de dégradation des bâtiments non durables est encore plus préoccupant. Les actifs isolés, c’est-à-dire ceux dont les émissions dépassent les normes et qui ne peuvent être décarbonisés de manière rentable, font face à un avenir difficile, notamment dans le secteur des bureaux. Ces actifs attireront moins de locataires, de prêteurs et d’acheteurs à l’avenir.

Green office building looking up

Le dilemme de l’évaluation — Partie 1

Propriétaire : « Nos investissements massifs dans la décarbonisation de nos actifs ne se traduisent pas par une prime dans nos évaluations. »

Évaluateur : « Notre rôle est de refléter le marché, non de le façonner. Sans transactions comparables d’immeubles verts, nous ne pouvons justifier de primes écologiques. Des preuves concrètes sont nécessaires. »

Cette impasse illustre le dilemme actuel du marché immobilier vert.

Le dilemme de l’évaluation — Partie 2

D’aucuns proposent une nouvelle méthodologie d’évaluation axée sur la durabilité, tout en soulignant la nécessité de ventes comparables pour valider les primes vertes.

Je considère que le cadre méthodologique existe déjà. Bien que l’importance des données de vente réelles soit indéniable, les évaluateurs qui attendent des preuves irréfutables de primes vertes dans les transactions récentes risquent de faire face à une longue attente.

Examinons tout d’abord comment une prime verte (ou, à l’inverse, une décote brune) peut se refléter dans une évaluation. Le premier aspect est d’ordre opérationnel et concerne la prévision des flux de trésorerie. De nombreux avantages mentionnés précédemment, tels que des loyers plus élevés en raison de l’efficacité des exploitants, la diminution de la vacance structurelle et les investissements, doivent être pris en compte. Les évaluateurs font déjà des hypothèses éclairées sur la croissance du revenu net d’exploitation et des flux de trésorerie; les considérations relatives à la durabilité devraient être traitées de la même manière. Ils intègrent déjà des hypothèses sur les dépenses d’investissement et d’amortissement dans leurs évaluations. Une dépense d’investissement visant à économiser l’énergie est-elle si différente d’une rénovation du hall d’entrée d’un bureau?

L’intégration du revenu net d’exploitation et des flux de trésorerie constitue un élément crucial de l’équation. La sélection des taux d’actualisation et des taux de rendement interne représente l’autre variable principale. Bien qu’il soit vrai qu’au début de la prise en compte des questions ESG, cela puisse sembler complexe, ce n’est pas insurmontable.

Lors du choix d’un taux d’actualisation, un évaluateur ou un investisseur doit prendre en compte tous les attributs de l’investissement lié à l’actif. Cela inclut les considérations de marché, les caractéristiques macro et microlocales, les aspects physiques, les équipements, le profil des locataires, le calendrier d’expiration des baux, la comparaison entre le loyer contractuel et le loyer du marché, ainsi que la croissance des loyers, entre autres. La durabilité, en tant qu’attribut d’investissement, doit être évaluée de la même manière, comme l’un des nombreux facteurs pouvant influencer le profil de risque de l’actif évalué.

La question du jour, « Qu’est-ce que la prime verte? », implique que les évaluateurs doivent être capables de distinguer les effets spécifiques de chaque attribut d’investissement sur la valeur. Idéalement, cette évaluation de la valeur devrait être soutenue par des preuves de marché.

Nous devons reconnaître que cela n’est peut-être pas possible. L’adage selon lequel l’évaluation est à la fois un art et une science est tout à fait juste. Il est extrêmement difficile de déterminer une prime de valeur précise pour un seul attribut. La meilleure approche consiste à trouver deux transactions comparables qui se ressemblent en tous points, sauf un. La différence de prix peut alors être logiquement attribuée à cette seule variable. En théorie, cette méthode d’évaluation fonctionne bien, mais elle est moins efficace en pratique.

Examinons deux ventes d’immeubles de bureaux pour illustrer l’impact du calendrier d’expiration des baux sur la valeur. Considérons un premier scénario sans risque de location pour les cinq prochaines années, et un second avec un volume important de renouvellements sur la même période. La différence de risque locatif entre ces deux cas devrait logiquement se refléter dans des taux d’actualisation distincts et des évaluations ajustées en conséquence.

Mais comment quantifier précisément cet effet? Pour que ces transactions soient véritablement comparables et permettent d’isoler l’influence du risque locatif, elles devraient être identiques sous tous les autres aspects : marché, fondamentaux économiques, période, conventions locatives et caractéristiques physiques. Si l’on parvenait à dénicher ce « miracle » de ventes jumelles, on pourrait potentiellement mesurer l’impact spécifique sur la valeur. Néanmoins, même dans ce cas idéal, il ne s’agirait que d’un unique point de données.

En réalité, les évaluateurs et les investisseurs doivent tous deux travailler avec des informations imparfaites sur les ventes, comme ils l’ont toujours fait. Le marché de l’immobilier est un monde plutôt obscur.

C’est pourquoi, bien que les biens certifiés LEED soient évalués chaque année depuis plus de 15 ans au Canada et que nombre d’entre eux aient été vendus, aucun évaluateur dans le pays ne peut vous dire avec précision quelle est la prime LEED/verte. Même si nous cherchons à utiliser des méthodes plus sophistiquées et analytiques dans le domaine de l’immobilier, l’art reste tout aussi important que la science.

Le chemin à suivre

Si l’on accepte que les arguments en faveur des primes vertes soient valables, alors les bâtiments écologiques devraient afficher des valeurs plus élevées que des bâtiments similaires, toutes choses étant égales par ailleurs.

Cette affirmation ne prête pas à controverse, car tout bâtiment présentant un avantage concurrentiel supérieur à long terme, avec des coûts d’exploitation et de financement inférieurs et une meilleure liquidité globale, bénéficie toujours d’une prime. Les évaluateurs devront faire preuve de discernement, notamment en ce qui concerne la sélection des rendements (taux d’actualisation et rendement interne), mais l’évaluation du profil de risque global d’un actif fait partie de leur travail. Les caractéristiques de durabilité ne sont qu’un attribut supplémentaire à prendre en compte parmi beaucoup d’autres.

Il est difficile de déterminer avec certitude combien de temps durera la prime de valeur. On peut s’attendre à ce que les groupes adoptant une approche holistique du développement durable soient les premiers à en bénéficier. Cependant, à terme, comme nous l’avons vu avec les certifications LEED, les règles du jeu devraient s’équilibrer et les primes deviendront la norme.

Le véritable risque est de ne rien faire. Les propriétaires qui ignorent cette tendance croissante devront faire face à des coûts et pénalités réglementaires, ainsi qu’à une liquidité fortement réduite. Dans le secteur des bureaux, par exemple, de nombreux immeubles sont déjà des actifs en déclin, dont la valeur continuera de diminuer. Contrairement aux primes vertes qui tendent à devenir la norme, la décote « brune », elle, semble être une tendance durable.

En fin de compte, une mauvaise gestion peut s’avérer coûteuse.

Alors que la question de la prime verte reste en suspens, le secteur de l’immobilier commercial devrait considérer les points suivants :

  • La documentation, les études et les enquêtes sur le développement durable se multiplient. Les acteurs du marché devraient tirer parti de ces informations. La plupart des fonds institutionnels et des entreprises publiques publient d’excellents rapports annuels sur les critères ESG. Des organisations telles que REALPAC et RICS publient également des rapports sur le développement durable et offrent des conseils à leurs membres.
  • Propriétaires : Communiquez avec vos évaluateurs. Informez-les des programmes de décarbonisation en cours et, si nécessaire, mettez-les en relation avec vos consultants en développement durable. Si vos évaluateurs ne posent aucune question sur les caractéristiques de durabilité ou si leurs rapports n’incluent aucun aspect de durabilité, il est possible que vous n’ayez pas choisi les bons évaluateurs.
  • Évaluateurs : Mettez-vous à jour. Une grande partie du secteur de l’évaluation en Amérique du Nord est en retard sur les questions ESG. Bien que vous ne soyez pas censés être des experts, il est essentiel que vous soyez informés de ces enjeux.
  • À tous : Adoptez une perspective mondiale. Bien que l’Amérique du Nord s’intéresse de plus en plus aux enjeux de durabilité, nous gagnerions à nous inspirer des régions pionnières en la matière.


Voici des conseils utiles provenant de professionnels européens de l’immobilier :

« Une stratégie d’investissement sans composante climatique est incomplète. Le climat est aussi crucial que les taux d’intérêt et la dette. Ignorer cet aspect dans vos décisions d’investissement revient à négliger une part importante des risques et des occasions du marché. » — Xavier Jongen, directeur général de Catella Residential Investment Management, gestionnaire d’un portefeuille de 7 G$ réparti sur 10 pays européens.

« Il existe un risque direct et linéaire associé aux facteurs environnementaux, et cela est beaucoup plus évident qu’il y a cinq ans. Tout commence par l’obsolescence. Si votre bâtiment n’est pas conforme aux réglementations et normes institutionnelles reconnues, il subira une dépréciation de sa valeur et une diminution de sa liquidité. » — Pavlos Gennimatas, directeur général, Hines European Living.

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