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Une décarbonation anémique de l’immobilier pourrait entraîner une spirale infernale pour les propriétaires
08 juin 2023 6 Minute Read

Les propriétaires immobiliers qui ne prennent pas les facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) au sérieux et qui ne disposent pas d’un système de signalement ESG solide « deviennent des dinosaures », selon Paul Morassutti.
« Que les propriétaires d’immeubles croient ou non aux changements climatiques n’a aucune importance », a ajouté le président du conseil d’administration de CBRE Canada. « Car le reste du monde est passé à autre chose. Donc, si vous ignorez ces questions, vous le faites à vos risques et périls. »
M. Morassutti et Amy Bugg, directrice, Solutions client de CBRE, ont récemment participé à une table ronde organisée par la Chambre de commerce de la région de Toronto dans le cadre d’une série de formations immersives sur les facteurs ESG.
Les propriétaires d’immeubles qui ne font rien en matière d’ESG verront leur accès au capital se réduire, a déclaré M. Morassutti à l’auditoire de la Chambre de commerce de la région de Toronto.
« Il est probable que les prêteurs demanderont des taux d’intérêt plus élevés aux propriétaires dont les immeubles ne sont pas écologiques et, qu’éventuellement, ils ne leur accordent plus de prêts du tout. »
« En effet, le calcul des émissions des banques inclut les émissions des propriétés pour lesquelles elles ont accordé des prêts. Ainsi, si une banque accorde un prêt au propriétaire d’un immeuble et que la quotité de financement est de 70 %, la banque est responsable de 70 % des émissions de l’immeuble. Elle n’accordera donc pas de prêt aux propriétaires qui ne font rien en matière d’ESG. »
C’est aussi vrai pour les locataires, note M. Morassutti. « Les locataires préoccupés par l’environnement n’occuperont pas un immeuble qui n’est pas écologique; ainsi les propriétaires ne pourront pas louer tous les locaux disponibles. Et en fin de compte, si tout cela se produit, les propriétaires ne pourront pas vendre l’immeuble. »
« Il s’agit donc d'un triple problème : vous ne trouverez pas d’occupants, il sera difficile d’obtenir des prêts ou du financement, et il pourrait être impossible de vendre l’immeuble. »
« C’est une spirale infernale et les propriétaires doivent se concentrer sur ce point dès maintenant, quel que soit le type de biens immobiliers. »

Luigi Ferrara, Paul Morassutti et Amy Bugg
L’exemple de Larry Fink
M. Morassutti a cité en exemple le milliardaire Larry Fink, qui dirige BlackRock, la plus importante société de gestion financière dans le monde (qui gère 11 000 G$), pour inciter les sceptiques des facteurs ESG à reconsidérer leur position.
M. Morassutti a indiqué que M. Fink a exigé des entreprises dans lesquelles sa société investit qu’elles décrivent les risques auxquels elles s’exposent en passant à la carboneutralité et que celles qui ne sont pas prêtes pour la carboneutralité pourraient ne pas recevoir de financement.
Les efforts de M. Fink ont largement contribué à inciter le secteur de l’immobilier commercial, qui évolue très lentement, à prendre des mesures en matière de facteurs ESG.
« Larry Fink ne s’est pas réveillé un matin en se préoccupant des ours polaires, a déclaré M. Morassutti. Il adopte plutôt une approche holistique des affaires. De la même manière que nous examinons les paramètres financiers d’une entreprise ou d’un immeuble, nous devons comprendre les paramètres environnementaux, l’impact social et les questions de gouvernance. »
« De nos jours, c’est ce que l’on doit faire pour gérer une entreprise prospère. »
Le secteur immobilier « doit agir »
Étant donné que les immeubles produisent 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, le secteur de l’immobilier a un rôle important à jouer dans la résolution du problème.
« Nous devons agir », a déclaré M. Morassutti, soulignant que 80 % des bâtiments qui feront partie du paysage en 2050 ont déjà été construits.
« Pour respecter les exigences liées aux facteurs ESG, nous ne devons pas nous limiter à construire des immeubles carboneutres, a-t-il ajouté. Nous devons rénover l’ensemble de la forme bâtie. Actuellement, nous décarbonons annuellement 1 % du parc immobilier ».
« À ce rythme, nous n’atteindrons pas les objectifs de carboneutralité avant 2070, soit 20 ans trop tard. Le secteur de l’immobilier a donc beaucoup à faire. »
Les facteurs ESG ne se limitent pas aux bureaux
Alors que le secteur des bureaux représente la majeure partie des locaux commerciaux, le marché industriel a adopté une nouvelle perspective ces dernières années.
« De plus en plus de grands locataires de bâtiments industriels accordent de l’importance aux facteurs ESG et souhaitent occuper des immeubles qui reflètent leurs valeurs, a déclaré M. Morassutti. Des discussions de ce type, qui n’existaient pas il y a deux ou trois ans, sont désormais monnaie courante dans tous les secteurs. »
Les propriétaires d’hôtels intègrent également les facteurs ESG à leurs modèles d’affaires afin d’attirer et de fidéliser les clients.
« Si vous organisez une conférence et que vous avez le choix entre un hôtel carboneutre et d’autres qui ne le sont pas, vous choisirez l’hôtel carboneutre, car il s’aligne sur vos valeurs d’entreprise », a déclaré M. Morassutti.
Il donne en exemple l’investissement de 30 M$ des propriétaires du Fairmont Royal York de Toronto pour en faire le premier hôtel carboneutre au Canada.

Amy Bugg
Un effort mondial
Amy Bugg, de CBRE, a expliqué à l’auditoire de la Chambre de commerce de la région de Toronto, qui comprenait des chefs d’entreprise de toute la région de Toronto souhaitant découvrir les stratégies de mise en œuvre des facteurs ESG, que l'entreprise avait pris des engagements audacieux visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2040, soit dix ans avant la date butoir.
« Lorsque j’ai entendu cela, je me suis dit que 2040 n’était pas si loin et je me suis demandé comment nous allions atteindre ces objectifs ambitieux », a-t-elle déclaré.
Il peut être difficile d’obtenir un consensus sur les objectifs à atteindre dans une entreprise aussi grande que CBRE. « Nous devons donc réfléchir et nous assurer de ne pas travailler en silos. »
Heureusement, les partenaires des différentes régions de CBRE peuvent partager leurs expériences et leur expertise. Le Royaume-Uni a réalisé des progrès particulièrement notables. « Nous pouvons bénéficier des leçons apprises là-bas, tenir des séances de remue-méninges avec divers partenaires et nous tenir mutuellement responsables », a déclaré Mme Bugg.
Pour sa part, CBRE Canada a engagé une équipe d’experts pour élaborer une feuille de route et assurer le suivi des buts et des objectifs internes de l’entreprise.
À l’échelle mondiale, l’entreprise s’est également engagée à améliorer la diversité des fournisseurs, en accordant 1,2 G$ à des fournisseurs représentatifs de la diversité en 2021 et en s’engageant à porter ces dépenses à 3 G$ au cours des quatre prochaines années.
En tant que firme de services immobiliers commerciaux axée sur la forme bâtie, il est facile de se concentrer sur les enjeux environnementaux des facteurs ESG. Mme Bugg souligne toutefois que CBRE est consciente que les entreprises doivent aussi accorder une grande importance aux enjeux sociaux.
« Nos employés sont notre plus précieux atout et nos parties prenantes internes exigent davantage en matière de durabilité », a-t-elle déclaré.
« Cela va au-delà des dons d’entreprise. On doit avoir des conversations plus franches sur la culture d’entreprise, adopter des pratiques d’embauche plus diversifiées et nommer plus de femmes à des postes de direction. »
Mme Bugg voit également d’un très bon œil l’utilisation des facteurs ESG afin de renouer avec les employés et d’établir une feuille de route pour l’avenir.
« Depuis le début de la pandémie, beaucoup de personnes font du télétravail. Les facteurs ESG peuvent être une raison de nous rassembler, de rétablir les liens et de redéfinir notre culture d’entreprise et nos valeurs. Ce lien et cette communication seront essentiels si nous voulons relever les défis posés par les engagements en matière d’ESG. »
Les caisses de retraite sont les championnes des facteurs ESG
Bien que le Canada soit en retard par rapport à l’Union européenne, au Royaume-Uni et à l’Australie en matière de mesures ESG, M. Morassutti s’est dit impressionné par les progrès réalisés par le secteur canadien de l’immobilier commercial et en particulier par les caisses de retraite.
« Elles sont très impliquées et font un travail dont nous pouvons tous être fiers, a-t-il déclaré. Aujourd’hui, presque toutes les caisses de retraite du Canada figurent parmi les leaders mondiaux en matière d’ESG. »
Selon M. Morassutti, il faut s’attendre à un certain écoblanchiment dans les rapports des entreprises, mais cette stratégie ne durera pas longtemps. Contrairement à la norme LEED, qui est un instantané pris au moment de la construction du bâtiment, les facteurs ESG permettent de définir un objectif, un calendrier, la manière dont nous y parviendrons et nous serons évalués chaque année en fonction de ces critères.
« Si votre stratégie d’entreprise consiste à cocher des cases, vous serez vite démasqué. De plus, je ne pense pas que ce soit une stratégie viable. »
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